Tahar Zbiri : La mobilisation avant le grand assaut
Convaincu qu’aucune solution « pacifique » ou négociée n’est possible, le chef d’état-major entame le travail de mobilisation, militaire et politique, pour préparer « l’assaut sur la capitale ».
Il demande à ses hommes de prendre leurs positions respectives. Mais vite il s’aperçoit que les éléments qui étaient les plus engagés avec lui montrent des signes de tergiversation. Sa plus grande déception est venue du commandant Saïd Abid, chef de la 1er région militaire, et dont les unités étaient les mieux loties et capables, à elles seules, de prendre le contrôle de la capitale et des principales institutions officielles, constate aujourd’hui Tahar Zbiri. Saïd Abid est même allé jusqu’à ordonner d’éloigner le bataillon blindé, qui était l’unique bouclier, à l’insu du chef d’état-major.
Avant de passer à l’action, Zbiri échafaude un plan de dissuasion. Il convoque tous les bataillons activant sous son autorité directe, pour occuper le « QG » de la première région militaire de Blida, dans le dessein bien calculé de mettre fin aux atermoiements de Saïd Abid, d’autant plus qu’il redoutait bien que celui-ci décide de redéployer les bataillons qui étaient sous son autorité directe, loin de la capitale et du théâtre des opérations, comme il avait déjà fait avec le bataillon du Lido.
Il décide alors de donner ordre aux bataillons de faire mouvement, avant que Saïd Abid ne prenne l’initiative. Ainsi, en prenant le contrôle du QG de la première région, il lui serait facile de rallier tous les bataillons sous ses ordres, et à partir de là, il pourrait organiser ses troupes avant la marche sur la capitale, sans avoir besoin de l’appui du reste des régions militaires, dont la plupart (Yahiaoui, Chadli,…) continuaient à observer une attitude attentiste.
Deuxième démarche : occuper le lieu de détention du président déchu, Ahmed Ben Bella, au palais Holden, situé sur la route reliant Douéra à Koléa (Tipaza), que le commandement de l’armée était d’ailleurs obligé de changer constamment pour parer à d’éventuelles opérations commando pour le délivrer. L’idée c’était d’exercer une sorte de chantage, en menaçant de libérer Ben Bella que Boumediene redoutait tant. Alors qu’une éventuelle remise en liberté de Ben Bella pourrait constituer également une menace pour Zbiri lui-même ; car, n’oublions pas que c’est lui qui avait organisé son arrestation.
En parallèle, Zbiri a prévu une réunion politique avec les membres du Conseil de la révolution, notamment ceux que le président Boumediene avait tenté d’exclure, à l’image d’Ali Mendjeli, et aussi les colonels historiques et les officiers supérieurs de l’armée, pour discuter des mesures politiques à prendre face à la crise. Dans la foulée, Zbiri comptait sur le ministre du Travail et de la Protection sociale, Abdelaziz Zerdani, qui lui avait assuré de sa disponibilité à demander à la centrale syndicale, l’UGTA, d’organiser de grandioses manifestations hostiles à Boumediene, dans le dessein de conférer au mouvement de redressement une dynamique populaire.
Au sein de la hiérarchie de l’armée, le chef d’état-major s’appuyait a priori sur la fidélité d’un seul membre de l’état-major général, le colonel Abbas, puisque les autres étaient, soit pro-Boumediene (Mohamed Zeguini, Slimane Hoffman…), soit neutres. Il avait aussi le soutien d’autres officiers qui lui sont restés fidèles, à l’image du commandant Ammar Mellah, adjoint du commandant de l’état-major général, chargé de l’organique, originaire de Batna. Il y avait également Chérif Mehdi, secrétaire-général de l’état-major général, originaire lui aussi de Batna. Au niveau des régions militaires, la démarche du colonel Zbiri était appuyée au départ par la majorité des chefs qui étaient, de surcroit, ses compagnons de lutte, que ce soit à la base de l’Est ou en Wilaya I historique. Mais leur problème, dira Zbiri, est qu’ils «craignaient Boumediene».
Les plus influents sont : le commandant Saïd Abid, chef de la première région (Blida), le commandant Mohamed-Salah Yahiaoui, chef de la 3e région (Béchar), le commandant Chadli Bendjedid, chef de la 2e région (l’Oranie), le commandant Abdallah Belhouchet, chef de la 5e région (Constantine), le commandant Ahmed Abdelghani, chef de la 4e région (Biskra).
Tahar Zbiri va davantage s’appuyer sur quelques chefs de bataillon qui lui sont restés loyaux jusqu’à la fin. On citera notamment : le lieutenant Layachi Houasnia, chef de bataillon blindé à Chlef, natif de Souk-Ahras et ancien moudjahi de l’ALN à la base de l’Est ; le lieutenant Maammar Kara, chef du bataillon d’infanterie, natif de la wilaya de Mila ; le lieutenant Abdeslam Mebarkia, chef du bataillon mécanique à Miliana, originaire des Aurès ; le lieutenant Salah Guemaoune, professeur-officier à l’école militaire de la DCA, ancien moudjahid de la Wilaya I, originaire de Khenchela ; le lieutenant Ammar Nouioua, professeur-officier à l’école militaire de la défense du territoire, originaire lui aussi de Khenchela, ancien moudjahid des Aurès et enfin le capitaine Moussa Houasnia, responsable du secteur militaire de la wilaya de Blida, originaire de Souk-Ahras. Celui-ci était avec Tahar Zbiri durant la guerre de libération, dans le 3e bataillon à la base de l’Est.
Outre les officiers susnommés, l’indomptable chef d’état-major trouva à ses côtés les chefs historiques de la Wilaya IV (l’Algérois), dont notamment le colonel Youcef El-Khatib dit Si Hassane, qui était à l’époque membre du Conseil de la révolution, et aussi le commandant Lakhdar Bouragaa, qui s’était déjà rebellé contre le pouvoir central dès 1963 en rejoignant les maquis du FFS en Kabylie, en plus de Youcef Benkhrouf, M’hammed Yazid et d’autres personnalités.
In MÉMORIA